Casse-croûte du midi

Le débarras était plongé dans la pénombre. Dans cette vaste pièce poussérieuse s'entassaient en vrac sur les étagères usées vieux grimoires, tissus anciens et ustenciles en tous genres. Il y stagnait une immobilité tranquille. Cependant si on tendait l'oreille on entendait comme un mâchonnement régulier, alterné par quelques "CROC" sonores de temps à autres.
Perchée sur la plus haute des étagères, assise le dos au mur entre une mape monde usée et un tableau écaillé, Prune mastiquait pensivement une miche de pain râssis, volée peu avant aux cuisines de l'Orphelinat. Une jambe rabattue contre sa poitrine et l'autre qui pendait en l'air, elle scrutait d'un air rêveur la forêt par la minuscule fenêtre grillagée du débarras. Il devait être aux alentours de midi, le Soleil était haut dans le ciel et projetait de faibles rayons sur les vieilleries du débarras. Prune n'avait pas très envie de sortir. Ce Soleil éclatant lui faisait mal aux yeux. Elle préférait l'air frais du soir aux heures chaudes de la journée, quand tout le monde était rentré et qu'elle avait la nature rien qu'à elle. Déjà elle élaborait un prochain plan d'évasion pour cette nuit. Voyons... Elle pouvait emprunter le passage secret qu'elle avait découvert il y a peu de temps dans les cuisines. A moins de passer par la fenêtre de la Salle d'Eau du premier étage, par laquelle on pouvait accéder à la branche du vieux chêne du Parc... Boaf, elle verrait. Une chose était sûre, jamais elle ne manquerait une de ses petites escapades nocturnes. Elles étaient la seule chose qui lui permettaient de tenir pendant toute la journée.
Tout en continuant de méditer, elle passa la main sur ses cheveux et les ébouriffa d'un geste vif - tic qu'elle avait pris il y a quelques mois. Puis elle poussa un profond soupir avant de se gratter brusquement l'ongle du gros orteil.
Soudain un grincement pernicieux se fit entendre dans la salle. L'oreille gauche de Prune frémit, et elle stoppa d'un seul coup son mâchouillement. Quelqu'un venait d'entrer dans le débarras. Son sang ne fit qu'un tour. D'un mouvement brutal et silencieux, elle se redressa, manqua de se cogner contre le plafond du débarras et scruta la pièce d'un regard attentif, les yeux plissés et les pupilles étrécies. Pourvu que ça ne soit pas un cuisinier qui venait de s'apercevoir de son vol et qui avait retrouvé sa trace! Pire: ce pouvait être la directrice, la terrible Elizabeth McCowell, et à ce moment là c'en serait fini de Prune. Elle était habituée aux tortures, elle en subissait souvent, mais les brusques accès de peur qui précédaient un châtiment ne la quittaient pas. Elle faisait toujours tout son possible pour éviter une punition, quitte à employer des méthodes lâches.
Pour l'instant, elle demeurait immobile sur son étagère, telle une statue de pierre, priant pour que le nouveau venu ne la voie pas.

Heureusement -ou malheureusement?- pour Prune,ce n'étais ni la terrifiante directrice,ni un cuisinier,ni même un surveillant avide de voir quelqu'un souffrir. C'était une simple gamine brune,vêtue avec ce qui avait du être une vieille robe marron,et qui maintenant,paraissait noire et était déchirée aux manches,et qui venait de donner un violent coup de pied à un objet dont elle ne connaissait pas l'utilité,et qu'elle n'avait même pas vu,alors qu'elle essayait de se frayer un passage entre les silhouettes sombre de tous ces...meubles?Elle n'en savait que trop rien. Toujours est t'il qu'après avoir retenu quelques jurons et attendu que la douleur,ridicule comparée à ce qu'elle avait déjà vécu,s'éteigne,elle avait commencé la prudente escalade d'un "truc",apparament en bois,dans lequel elle venait de rentrer (brutalement,mais silencieusement,cette fois ci). Comment trouver quoi que ce soit dans ce fouilli d'étoffes,de meubles démodés et encombrant,de silhouette fantomatiques dont elle ne se souvenait pas d'avoir déjà vu un jour? Ca relevait du miracle;elle était intelligente,mais n'était pas un prodige. Elle gagna un point en hauteur,et essayant de percer du regard la semi obscurité qui reignait en maître dans la salle,observa celle-ci avec attention. A droite,une étagère,un mannequin recouvert de tissu,des plaques de bois qui avait été apparament tirées d'un lit ou d'une commode,tout ça et bien d'autres choses encore coincées dans un minuscule petit espace.Sans interêt.A gauche,elle distinguait à peine les contours de ce qui s'y trouvait. Prudemment,elle se déplaça.Sa jambe heurta un des nombreux bibelots entassés sur la petite étagère sur laquelle elle s'était perchée,en renversant un autre,puis entraînant la bruyante chute de tous les objets présents à côté d'Astrid,qui maudit sa maladresse à voix haute,convaincue d'être seule. Ignorant les débrits des objets brisés qui ne s'étaient qu'ajoutés au tapis de crasse sur le sol,et priant que le bruit qu'elle avait fait n'avait pas été entendu par un surveillant,ou pire,la directrice,la jeune fille continua son avancée sur la fragile planche de bois tordue de l'étagère,et déjà plus proche,jeta un coup d'oeil à gauche. Elle dressa la liste des nombreuses choses inutiles qui s'y trouvait,mais ne trouva pas ce qu'elle cherchait. Péniblement,elle se hissa sur l'armoire à côté,à peine plus haute,et s'assit tout en haut,reprenant tranquillement son souffle et cherchant des yeux le mystérieux objet.
Soudainement,son regard se figea sur quelque chose,quelque chose qui apparament,semblait humain,à en croire les contours de la silhouette qui était installée sur une étagère assez proche,aussi immobile qu'elle l'était. La jeune fille n'eut pas peur le moins du monde.Seul un pensionnaire serait assez fou pour s'assoir de son plein gré sur cette étagère sale et poussièreuse. De plus,la silhouette ne semblait plutôt voûtée,trop pour appartenir aux "adultes" du coin,droits et raides comme des piquets quels que soit l'endroit où il se trouvait: assis,couchés ou debouts,ils restaient plus durs qu'une planche à pain. Astrid ne bougea,légèrement intriguée,et soucieuse de rester loin des autres. Pas uniquement à cause de son caractère solitaire de nature. Il lui était arrivé,le jour de son arrivée,alors qu'elle avait un peu moins d'une dizaine d'anées,qu'un gamin,apparament fou,l'ait agressée brutalement. Stupéfaite,Astrid n'avait pas réagit pas à ce sinistre acceuil,jusqu'à ce qu'on lui ait sèchement ordonné de déguerpir ici.Pas de bonjour,pas le moindre étonnement à la voir. Elle n'était pas qui ça avait choqué le plus,sûrement,vu qu'elle était habituée aux manières brutales de son père,mais ça restait un dur choc pour sa pauvre petit âme qui esperait un monde meilleur - et qui n'avait fait que sombrer un peu plus loin dans l'enfer. Ca n'a plus d'importance,elle est habituée...
Elle changea de position sur son inconfortable siège.Son silence avait sûrement servi:elle était presque sûre que Prune savait qu'elle l'avait vu. Ce qui,en vérité,ne la dérangeait absolument pas. Si elle partait,Astrid serait même assez contente,elle pourrait continuer ses recherches tranquillement,en sachant que perchée sur une étagère,il n'avait avait pas de pensionnaire pour la voir,ou l'écouter.

Tandis que Prune scrutait toujours d'un regard inquisiteur la pénombre de la pièce, elle distingua une silhouette qui se mouvait dans l'obscurité avec un bruissement discret. Elle la suivit des yeux sans bouger, le dos voûté et accroupie sur l'étagère dans une position assez ridicule. Elle retint un soupir de soulagement: une chose était sûre, ça n'était pas un dirigeant. Les terribles gérants de l'orphelinat étaient bien plus imposants que ce sac d'os sur pattes.
Après avoir observé la salle, la silhouette se lança dans une escalade fastidieuse pour atteindre une armoire. Mais en voulant prendre appui avec sa jambe, elle fit tout à coup tomber toute une étagère de bibelots, qui se brisèrent au sol dans un énorme fracas métallique. Prune sursauta, puis émit un rictus amusé. Eh ben, c'était pas l'adresse qui l'étouffait celle-là...!
Mais elle était bien consciente du danger: avec ce vacarme, il était plus que probable qu'un dirigeant les ait entendu et ne tarde pas à leur administrer une punition salée pour avoir troublé le calme de l'Orphelinat. Agacée, Prune réprimanda la nouvelle venue d'un sifflement sévère:

- Chhhhhhhhhhhhtttttttttttttttttttt!

La silhouette était à présent assise sur une armoire, et Prune devinait ses yeux noirs qui la fixaient silencieusement dans la pénombre. En guise de salutation, Prune arracha de ses dents un dernier morceau de pain à sa miche, puis balança le croûton vers l'armoire, qui atterit en plein ventre de l'intruse. Satisfaite de ce lancer de qualité, Prune esquissa un léger sourire en coin, puis lança d'une voix sèche:

- Qu'est-ce que tu viens faire là toi?

Le "sac d'os",comme le disait Prune,toujours assit avec un équilibre précaire sur son armoire,se garda d'exprimer la moindre expression au sifflement de l'autre fille,là,même si son visage ne se voyait même plus dans la pénombre de la salle. Voyant la silhouette se mouvoir,et lancer un....truc,elle suivit le projectile des yeux. D'un geste las,vaguement exaspéré,elle se débarassa de la répugnante boule de pain mastiquée.Astrid aurait bien aimé la voir faire ça à la directrice. Mais là était le problème. Ces gens là étaient trop couards,à ses yeux,pour risquer leur misérable peau et du coup,s'en prenais aux gens qui ne pouvaient se défendre qu'à coups de poings. Ces gens là ne lui inpirait que du mépris.Sans laisser paraître le moindre signe du dégoût qu'elle ressentait,elle changea de position avec précaution : hors de question de refaire une con*****,elle en avait déjà bien assez fait.
Ignorant royalement la question de l'autre pensionnaire,Astrid tendit l'oreille,histoire de voir si elle entendait les pas d'un surveillant. Elle devina quelqu'un courrir derrière la porte,et elle sentit son estomac faire un noeux. Mais le bruit des pas s'évanouirent. C'était juste quelqu'un qui passait.Peutêtre ne l'avait t'on pas entendu...Malgré l'absurdité de cette pensée,Astrid était un peu plus sûre d'elle lorsqu'elle tourna un regard qui se voulait méprisant à Prune. Elle lui lança,d'un voix froide :

-Occupe toi de tes affaires. Et la prochaine fois,essaye de ne pas être assez stupide pour agresser les gens au coup de boules de pain.

Sans plus s'occuper de la dégoûtante pensionnaire,Astrid reprit l'observation minutieuse des lieux. Si elle trouvait ce qu'elle chervchait avant qu'un ^surveillant arrive,et si par la même occasion,elle disparaissait avant l'arrivée de ce même surveillant,ça l'arangeaient beaucoup. Mais apparament,l'objet en question ne ce trouvait pas ici.Peut être en dessous de cette pagaille... Elle n'avait pas trop envie de vérifier. Le jour l'orphelinat sera déocré de rose,nettoyé tout les jours,et les pensionnaires,choyés -autrement dit,quand les poules auront des dents -,elle s'y risquera.